Dans le Sud-est, l'organisation défensive n'était pas liée au contexte franco-allemand, mais ce qui préoccupait le plus le commandement et le comité des fortifications c'était nos voisins italiens. Après le rattachement de la Savoie et de Nice en 1860 à la France, le tracé de la frontière s'établit sur une ligne de crête où l'unification et la création en 1870 du nouveau royaume d'Italie, provoqua - en raison de politiques extérieures contradictoires et particulièrement africaine des deux pays - des frictions qui justifièrent la construction d'un barrage identique à celui du Nord-est.

Pour Grenoble, importante ville de garnison qui se trouvait au carrefour de routes venant du Nord-est et du Sud-est que pouvaient emprunter des armées d'invasion désirant s'emparer de Lyon, le système de défense, intégré plus tard à l'œuvre du Général Séré de Rivières , sera réalisé par le Directeur des fortifications du moment, un officier particulièrement brillant, auteur de plusieurs ouvrages traitant de l'histoire des fortifications : le Colonel Cosseron de Villenoisy, qui succèdera plus tard à Séré de Rivières, à la Direction centrale du Génie.

Dès 1873, Cosseron de Villenoisy, propose au comité des fortifications un dispositif permettant d'élargir la ligne de combat sur des directions considérées comme essentielles pour la protection de Grenoble : la route de Savoie par le Grésivaudan et la Chartreuse, puis celle du Briançonnais par Gap. De plus, il préconisait, après avoir démontré l'impossibilité de défendre la ville au niveau de l'enceinte bastionnée, la construction de forts isolés. Tenant compte des enseignements apportés par la défaite de 1870 et considérant que le pays est divisé par des montagnes élevées avec de profond ravins, il ne peut être défendu par un petit nombre de grands forts, mais plutôt par des petits forts et des batteries. Et il rédige un projet de 28 pages pour la défense de la ville d'où sont extraites les lignes suivantes :



le Colonel Cosseron de Villenoisy.


La ville de Grenoble, ancienne capitale du Dauphiné a toujours été regardée comme une position militaire importante à cause de Sa situation à la rencontre des vallées et des routes qui conduisent de Lyon, en Savoie ,à Briançon, à Gap, et dans la vallée du Rhône. La réunion de la Savoie à la France, et l'ouverture d'un réseau de voies ferrées a modifié sans l'amoindrir le rôle qu'elle est appelée à remplir ".

"Remarquons tout d' abord que les peuples d'Europe se préparent à mettre en action des armées beaucoup plus nombreuses qu' autrefois, il sera d'autant plus nécessaire d'avoir des places de dépôt, reliées aux troupes actives par des routes commodes et où l' on puisse rassembler toutes les ressources disponibles des contrées avoisinantes…"

"mais les routes susceptibles de servir au transport de l'artillerie et des munitions auraient seules une importance réelle. Or ,dans l'état actuel de la viabilité il n'en n'existe aucune de la mer jusqu'au Mont-Genévre. Plusieurs passages qui ont servi lors des guerres du XVIIème et XVIIIème siècle sont devenus d' un accès ;plus difficile."

"les obstacles naturels accumulés dans cette vallée - route du Lautaret - sont si considérables et si nombreux qu' on pourra toujours intercepter la communication."

"Comme le mode de recrutement des armées actuelles donnera autant de soldats qu'on saura organiser et conduire, nous avons supposé qu'on pourrait consacrer au moins 15.000 hommes au corps chargé d'occuper Grenoble et les massifs montagneux qui l' entourent".

"Dans l état actuel un corps de 15.000 hommes ne trouverait à Grenoble ni abri ni protection. On ne pourrait le recevoir à l'intérieur de la ville et rien n'est préparé pour l'établir au dehors".

"L'ennemi pourrait installer des batteries à Montbonnot et Doméne et incendier la ville". " l'enceinte serre la ville de très prés, elle est trop basse pour découvrir la plaine à des distances un peu grandes et ne donnerait que des feux inefficaces contre les batteries ennemies. Rabot et la Bastille, les découvriraient, mais toutes les défenses ont été disposées de manière à battre les pentes abruptes du Mont Rachats et l'on ne trouverait pas dans toutes l'étendue de ces forts le moyen de placer 4 pièces de canon tirant contre la vallée supérieure de l'Isère"."Pour donner à la ville et à la garnison une sécurité suffisante, il faut empêcher l'ennemi d'établir ses batterie dans la limite de la portée des pièces de gros calibres, c'est à dire à une distance de 5 à 6 km de l' enceinte. Une enceinte continue de cette dimension aurait une étendue qui empêche d'y songer. Des forts détachés construits d'après les types en usage présenteraient les inconvénients inhérents aux petites places. Ils exigeraient une garnison très nombreuse et l'intérieur serait désolé par les projectiles de l'ennemi ". "Il a paru préférable d' adopter comme base la mobilité des troupes." "Voici comment on se propose de répartir et d'organiser les ouvrages protecteurs de la ville de Grenoble contre une invasion venant selon toute probabilité par la Savoie, et peut-être aussi par la route de Gap ou de Briançon " "La première chose à faire c'est de maîtriser d'une manière absolue la vallée du Grésivaudan, et d'en interdire le séjour à l' ennemi dans la limite de la portée des armes. Deux positions, l'une située sur la rive droite de l'Isère à 4 500m. de Grenoble aux cotes de 430 à 490 m, c'est à dire à 250 m au dessus de la plaine, l'autre sur la rive gauche prés du Mûrier à 4 000 m de la ville et à la cote 420, paraissent très convenables pour l'établissement de batteries de gros calibre qui croiseraient leurs feux, afin de maîtriser la vallée et de rendre impraticable l'établissement de batteries incendiaires. La position proposée sur la rive droite de l'Isère et au dessus du hameau dit la Ville, tout à côté se trouve l' ancienne propriété du Général Bourcet, celle où il a terminé une vie longuement et utilement occupée, on pourrait donner aux ouvrages projetés le nom de batterie Bourcet. Un contrefort étroit et un petit plateau placé un peu plus bas pourrait recevoir plus de 20 pièces de canon agissant soit en avant jusqu'à moitié chemin entre Biviers et Meyian, soit par le travers de la vallée jusqu'à Doméne. Ces batteries seraient simplement terrassées; et on ne ferait de maçonneries que pour les magasins à munitions". "de même pour Le Mûrier qui battrait la grande route et la voie ferrée". "De crainte que l'ennemi n'amène des pièces légères sur la crête du Saint Eynard". "Cette considération, la nécessité de mettre les servants des batteries du Bourcet à l' abri d'une fusillade, qui les inquiéterait lors même que l'éloignement les rendrait inoffensives ont conduit à proposer la construction d'un fortin sur l'un des sommets du Saint Eynard". "Ce n'est pas sans une grande hésitation, qu' on s'est arrêté à l'idée de fortifier un point aussi élevé - 1.340m. Avantages : aide au Bourcet, dominer Le Sappey et la route de Chambéry". "le fort du Saint Eynard battra d' une manière irrésistible les colonnes qui essayeraient de déboucher dans cette direction. Son feu atteindra Sarcenas et le chemin vicinal en construction qui doit réunir ce village à Quaix, interdisant tout passage à travers le ravin de la Vence depuis la Frette jusqu'au château de Quaix" " On propose d'établir aux Quatre Seigneurs un fort ou batterie retranchée présentant 200 m de longueur de crête. L'arête dentelée qui forme le sommet a une très faible largeur en sorte que le fort se composerait d'un simple terre plein recouvrant des casemates et d'une cour en arrière" "différentes considérations ont amené à proposer l' établissement d'un fort sur la hauteur de Montavie." "La forme du terrain indique un front plus élevé à droite qu'à gauche faisant face au sud-est, et battant la plaine entière depuis les premières maisons de Jarrie jusqu'au delà d'Herbeys et la route de Brie jusqu'à Brie" "A l'ouest, les vues du fort de Montavie seront limitées à la ligne de pente des eaux vers le Drac et aux ravins abrupts qui avoisinent Echirolles". "aucun des ouvrages proposés jusqu'ici n'empêcherait l'ennemi de se porter de Vizille à Pont de Claix" "Ce danger sera conjuré par la construction de deux batteries supplémentaires terrassées". "L'une au sommet du rocher de Comboire, l'autre sur une plate-forme de plus de 100 m de long qui se trouve au Nord et à la suite de la Tour sans Venin, ruine du moyen âge célébrée comme l'une des merveilles du Dauphiné". Les batteries de la Tour sans Venin". " Ses abords seront protégés par un fort que l'on se propose de construire au bord du plateau Saint Nizier près de la ferme marquée sur la carte, de baraque Rey". "Le Massif du Villard-de-Lans est par sa fertilité, son étendue, la puissance des obstacles qui l'isolent du reste du pays, le plus extraordinaire et le plus curieux qu'il y ait en France". " Le Massif du Villard-de-Lans inaccessible à l'ennemi de quelque côté qu'il se présente en relation avec Valence et Die doit être regardé comme la véritable citadelle de Grenoble. " En résumé la dépense vraisemblable des travaux proposés pour l' organisation de la position défensive de Grenoble peut être évaluée comme il suit, si les travaux sont dirigés avec économie"

Fort du Saint Eynard 550 000 Fr, batterie du Bourcet 50 000 Fr, à la suite 50 000 Fr
de Comboire 100 000
au-dessus de Sassenage 50 000 Fr
du Mûrier 100 000 Fr
Coupure, Gières Murianette 100 000 Fr
Fort des Quatre Seigneurs 1.000 000 Fr
Fort de Montavie 1 500 000 Fr.
Tour sans Venin (batterie) 50 000 Fr
Fort de Saint Nizier 1 500 000 Fr
Construction des chemins et imprévus 450 000
Total 5 500 000 Fr.

Quant à la garnison indispensable pour la simple garde des ouvrages :
Saint Eynard : 300 hommes,
Saint Nizier : 700 hommes,
Bourcet : 400 hommes,
Comboire : 200 hommes,
Mûrier : 400 hommes,
Quatre Seigneurs : 700 hommes,
Bastille et Rabot : 600 hommes,
Montavie : 500 hommes,
total 3 800 hommes".

"Grenoble le 21 mars 1873 - le commandant du Génie de Villenoisy".



Carte de la vallée du Grésivaudan extraite d'un atlas de 1878.

Le projet du Comité des fortifications.

Ce projet ne fut pas spécialement suivi par le Comité des fortifications, puisque finalement, les propositions initiales furent profondément modifiées et le Comité préconisa, dans un premier temps, la construction des forts :

du St Eynard, fort de surveillance qui battra les routes venant de Savoie par la Chartreuse et assurera la protection du fort Bourcet,

du Mûrier et Bourcet qui barreront la vallée du Grésivaudan

des Quatre seigneurs qui assurera la protection du fort du Mûrier, barrera la route venant de Vizille par Uriage et prendra sous ses feux le plateau du Pinet d'Uriage,

de Montavie , pour battre la région de Brié, Jarrie et Champagnier,

et ce n' est que huit ans plus tard que fut acceptée la construction du fort de Comboire destiné à couvrir de ses feux la route de Vif à Grenoble.

Quant aux forts et batteries qui devaient être construits sur les versants du Vercors, l'idée en fut tout simplement abandonnée. Ainsi ne virent le jour :

sur les contreforts du Vercors, commune de Seyssinet-Pariset et donjon du XIIIème siècle dit "La Tour sans venin", l'une des "Sept merveilles du Dauphiné", un fort de même nom,

visant à fermer la "Place de Grenoble" vers l'Ouest, le "Fort Saint Nizier",

ayant même dévolution, le "Fort Pariset",

au Nord-Ouest de la ville, le "Fort des Engenières" ou batteries de sassenage.


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Carte géographique de 1880 comportant tous les forts de Grenoble,
sur laquelle figure encore l'enceinte bastionnée se prolongeant jusqu'au Drac.
Un projet de fort sous la Tour sans venin qui sera abandonné
et où le fort de Comboire n'est encore que projet.

Un clic sur la carte l'agrandit, un clic dans un rectangle ouvre le dossier du fort de même nom.

La construction.

La période d'études mise à profit pour acquérir les terrains fut rondement menée, puisque les projets étaient approuvés à la fin de 1874 et au début de 1875. Les travaux commencèrent au mois d'Avril pour les forts Bourcet et du Mûrier, au mois de Mai pour ceux des Quatre seigneurs et de Montavie et au mois de Juin pour celui du St Eynard.

Leur construction dura, pour chacun d'entre eux environ 4 ans, puisqu'ils furent tous terminés en Mai et Juin 1879, sauf pour le St Eynard qui fut achevé en Octobre de la même année. Quant au fort de Comboire, sa construction commencée en 1882 ne dura que trois ans et se termina en 1885. Et ce n'est que bien plus tard que l'on construisit les batteries annexes du Néron, du Quichat et des Engenières.

Il est évident que ces forts construits au cours d'une période difficile pour le budget national le furent souvent dans un souci d'économie de tout les instants. Et si la rigueur des ouvrages laisse percevoir celle de la vie qui s'y déroulait, ce même souci d'économie entraîna souvent des erreurs de la part des constructeurs qui voulaient utiliser au maximum les ressources en matériaux du lieu même de la construction. Cette manière d'agir donna souvent de bons résultats, assurant la pérennité des ouvrages, mais eut parfois de graves conséquences et c'est ainsi par exemple que le fort du Mûrier construit avec un schiste ardoisier liasique particulièrement gélif au délitage spontané, n'offre pas une résistance que nécessiterait un tel ouvrage. A plusieurs reprises, à peine terminé, des portions des murs d'escarpes s'effondrèrent et durent être entièrement refaites. Ces conséquences se prolongent encore de nos jours où pour pallier la dégradation des enduits au mortier de chaux, le personnel du Génie d'entre les deux guerres utilisa malencontreusement des enduits au ciment artificiel qui aggravèrent encore les désordres.

Les travaux de construction des ouvrages cités ci-dessus, étaient confiés à des entreprises civiles après adjudications de marchés de travaux lancés sur "Appel d'offres" auprès des entrepreneurs de la région. Ils étaient dirigés par des surveillants civils appointés par les entrepreneurs et étaient supervisés par des sous-officiers et officiers des Chefferies du Génie. Des relevés contradictoires donnaient lieu à l'établissement de "registres d'attachements" qui rendaient compte des travaux réellement exécutés et permettaient d'effectuer le paiement des entrepreneurs sur les bases des adjudications.

La construction des forts entourant Grenoble nécessita à cette époque une dépense de 213 000 francs pour l'acquisition des terrains et de 640 000 francs pour leur construction.

 
Jean Azeau.






 

 
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